Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Démesure et pérégrinations
18 juin 2012

La contre-problématique de l'antipsychiatrie

« La contre-problématique peut exister pour quelques intellectuels mais elle n'a pas de force sociale bien qu'elle ait été reprise par un certain nombre de partis, de groupes. La vérité scientifique est soumise aux mêmes lois de diffusion que l'idéologie. Une proposition scientifique, c'est comme une bulle du pape sur la régulation des naissances, ça ne prêche que les convertis. »
(Pierre Bourdieu, L'opinion publique n'existe pas)

On note beaucoup de cas de discrimination dues aux préjugés sur les maladies mentales. Les représentations sociales ont des effets sur les comportements des individus, leur système de pensée, et a pour conséquence, dans ce cas, une réelle stigmatisation. Les effets négatifs de la stigmatisation sur l’individu présentant des troubles psychologiques, et sa famille, ont été démontrés.
Beaucoup de chercheurs se sont intéressés aux maladies mentales, à leur traitement, à leur étiologie, ainsi qu’au rapport psychologique d’un individu à la normalité mise en opposition à la folie, ou à l’état de maladie. Les stéréotypes circulant sur les maladies mentales sont nombreux, et le plus souvent s’écartent du savoir scientifique et psychiatrique actuel.
 
Par définition, il faut se rappeler que la science n’est que le savoir actuel scientifique. Beaucoup d'hypothèses circulent dans les milieux institutionnels et savants comme ayant déjà été prouvées. La controverse est alors permise et même moyen d’orienter la recherche. Les représentations sociales participent aux rapports idéologiques et donc à la construction des savoirs dits scientifiques. On retrouve ici, en filigrane, la notion d’épistémè de Foucault. Il faut donc différencier les représentations sociales « profanes » des représentations savantes et institutionnelles.
  La psychiatrie française est en difficulté. Pourtant d’autres manières d’exercer et de comprendre le soin aux maladies mentales semblent exister, notamment avec le courant dit « antipsychiatrique ».

DSC08320

 

  La lecture de Two Accounts of a Journey Through Madness, publié en 1991 et écrit par Mary Barnes et Joseph Berke (une “patiente” et son psychiatre), montre un exemple pratique des faits suivants : la prise en charge d’une personne schizophrène peut se faire sans médicament ; placer le médecin dans le rôle d’accompagnateur de la folie permet à la personne de −attention, banalité− se retrouver. Berke et d’autres chercheurs anglais ont théorisé et pratiqué, dans les années 60, ce qu’ils ont nommés « l’antipsychiatrie ».
 
L’antipsychiatrie est un terme utilisé pour la première fois par David Cooper dans son ouvrage Psychiatrie et Antipsychiatrie (1967). Ce psychiatre anglais est, avec Ronald Laing, le fondateur du courant de pensée du même nom. Plusieurs expériences de pratique antipsychiatrique ont été faites.
 
 
  Ce mouvement est proche des idées de l’école de Palo Alto, notamment en ce qui concerne les études sur les thérapies familiales, ainsi que de Marx et des théories sur la domination de la société et de l’idéologie sur l’homme.
Les idées antipsychiatriques nous semblent également aller de pair avec les recherches en psychiatrie comparée (transculturelles), qui ont mis à jour qu’il existe des syndromes spécifiques à une culture donnée.
Voici quelques proposititions antipsychiatrique: la maladie est comprise comme un fait social, en tant que symptôme psychotique de la société aliénante. La psychiatrie est alors vue comme une forme de répression sociale de la folie (avec le médicament et l’internement). On ne cherche pas à objectiver positivement la maladie. La folie est vue comme un voyage, le malade a besoin d’être soutenu et accompagné dans sa folie. L’opposition normalité/anormalité étant caduque, le discours de la folie doit être écouté.


   Les idées (apports conceptuels, théoriques et pratiques) antipsychiatriques nous semblent pouvoir répondre aux problèmes que pose la psychiatrie aujourd’hui en France, et prendre le rôle de contre-problématique, c’est-à-dire de problématique qui ne fasse pas partie du consensus accepté/imposé.  Ces représentations prennent notamment leur source dans un certain rapport à la folie, basée sur les oppositions normal/anormal, sain/malade. L’essentiel du mouvement antipsychiatrique est qu’il nous semble justement renverser certaines représentations basées sur un certain rapport entre normal/anormal, sain/malade.
   On peut se demander pourquoi la contre-problématique de l’antipsychiatrie (au sens large), qui propose de réfléchir à nos rapports à l’altérité et au conformisme, dans la société française d’aujourd’hui, et à une application dans les pratiques de prises en charge des maladies mentales de ces conceptualisations, n’est pas réceptionné, réfléchie et appliquée ? Cela ouvre la question de l’influence des groupes théologico-politiques (cf, J.Le Bohec) et financiers dans le monde de la psychiatrie française, ainsi que d’une considération des rapports de pouvoir, telle que Foucault nous la décrit (comme entrant dans « les plis subjectifs du social ») et de l’aliénation que dénonce Laing. La plupart des personnes étant en contact direct avec des "malades", et ayant un pouvoir sur eux (par le traitement, le soin, l’hospitalisation), véhiculent des idées faussées, reprises des représentations sociales profanes ou scientifique: cela démontre que les personnes n’ont pas accès à une contre-problématique et « jouent le jeu social ».

 

Extraction pierre de la folie jérôme boschL'extraction de la pierre de la folie, par Jérôme Bosch

Dossier complet (axé méthode de recherche en sciences sociales, sous format word):
Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Newsletter
Publicité