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Démesure et pérégrinations
18 juin 2012

Pourquoi Bush a-t-il été réélu ?

La stratégie de campagne électorale de Bush pour sa réélection en 2004.

bush


Après des primaires démocrates plutôt serrées, ce fut John Kerry, alors gouverneur du Vermont, qui remporta la candidature le 2 mars 2004, lors du Super Tuesday. Il se présenta donc aux élections présidentielles contre Georges W. Bush. Le 2 novembre 2004,  ce dernier fut élu avec 50,73 % des voix, pour un second mandat, président des Etats-Unis d’Amérique.

Nous nous demandons comment cette réélection a été possible. Répondre à cette question nécessiterait d’étudier les années 2000-2004 aux Etats-Unis autant dans leurs aspects sociaux qu’économiques, militaires, médiatiques et politiques. Nous essayerons du moins de connaitre plus particulièrement la stratégie de communication de Bush lors de cette campagne électorale 2004.

Plusieurs points nous paraissent importants afin de mieux comprendre cette stratégie. Nous allons d’abord revenir sur les principaux communicants politiques gravitant autour de Bush. La victoire de Bush a été souvent considérée comme étant acquise grâce à la récupération du vote des chrétiens fondamentalistes et évangélistes. Nous verrons donc le contexte religieux propre aux Etats-Unis et les principaux points stratégiques mis en place pour récupérer ce soutien. Ensuite, nous verrons les différents dispositifs de communication mis en place, notamment l’utilisation à visée électorale du microtargeting. Enfin, nous reviendront sur le déroulement de la campagne contre Kerry, notamment sur les différents moyens de dénigrement politique et personnel du candidat.


Quels sont les acteurs de la communication électorale 2004 de Bush ?


karl rove   Georges W. Bush, dès sa première élection en 2001, s’entoura d’une équipe chargée de préparer sa réélection. Plusieurs personnes, souvent méconnues en France, ont ainsi eu le rôle de conseillers auprès du Président. Son dispositif de communication pourra ainsi être compris par le biais de l’étude de son gouvernement, ses acteurs, leurs fonctions officielles et officieuses, les dépenses faites, etc.
Karl Rove (photo ci-contre) fut appelé par Bush, au lendemain de sa réélection en 2004, « l’architecte » de cette victoire. Cet homme fut conseiller et stratège au service de Georges W. Bush, de 1993 à 2007, alors que ce dernier était gouverneur du Texas puis président des Etats-Unis. Compétent, incisif, ambitieux, sans toutefois avoir réussi à décrocher un diplôme universitaire, c’est un ami de longue date de la famille Bush, le président le surnommait « Fleur de fumier ».

Michael Gerson, un évangéliste, écrivait les discours de « W », dont le mémorable dans lequel Bush parle, à propos de l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord, d’un « axe du mal ». Deal Hudson était chargé de l’électorat chrétien, et multipliait les contacts avec le Vatican.

Selon certaines sources, Matthew Dowd, John Dilulio et Jan van Lohuizen ont également été des acteurs de cette stratégie. Malheureusement, il est difficile d’accéder à des informations fiables en français sur ces personnages, surtout que John Dilulio a par la suite critiqué la stratégie du gouvernement Bush.


Contexte et rôle de la religion dans la stratégie électorale de 2004


Une religion civile, et une Amérique profonde évangéliste
Aux Etats-Unis, le rapport entre politique et religion est différent du principe de laïcité français. La religion a une place importante dans l’histoire et dans la société américaines. Le premier principe de la Constitution établit la séparation en énonçant que « Le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion, ou pour en interdire le libre exercice. »
Dans les années 1830, Tocqueville soulignait que le protestantisme est profondément lié à l’établissement de la démocratie américaine. Depuis, bien d’autres communautés religieuses se sont intégrées à la société américaine. Cependant aucune confession n’a jamais été érigée en tant que religion officielle. Pourtant, il reste des liens étroits entre la religion et le gouvernement américain. On parle de « religion civile ».
En effet, Dieu est omniprésent aux Etats-Unis, à commencer par sur leur monnaie, où le slogan « In God we trust » est inscrit. Les sessions parlementaires s’ouvrent sur une prière. 90% des Américains sont croyants, et presque la moitié d’entre eux déclare une pratique religieuse régulière.   
Plus de la moitié des Américains sont protestants. Depuis plusieurs décennies, on constate à une montée des cultes conservateurs, tels que les évangéliques, les fondamentalistes chrétiens ou les Born again.  Ainsi, 46% des Américains  sont évangélistes ou Born again » (littéralement, « né de nouveau », c’est-à-dire ayant connu un éveil à la foi). Les évangélistes ont une couverture médiatique croissante. En une vingtaine d’années, les méga-churches se sont répandues et on en trouve plus de 700.
La vie religieuse aux Etats-Unis est donc une réalité à prendre en compte dans le champ politique. Dans certains états, certains groupes sont très représentés et souvent puissants, comme les mormons en Utah, les amish en Pennsylvanie (qui possèdent leur propre comté !) ou les fondamentalistes dans la zone appelée « Bible Belt ». Cette zone recouvre le quart sud-est des Etats-Unis, on y trouve des états anciennement sécessionnistes tels que l’Alabama, l’Arkansas, la Caroline, la Louisiane, l’Ohio ou encore le Texas.

megachurch


Une stratégie pensée en fonction de ce contexte
Les stratégies de Bush ne cherchent plus à conquérir le centre, ce qui revient à « gauchiser » son discours républicain au risque de perdre beaucoup de militants. En effet en 2000, Bush fut considéré « trop à gauche » par certains commentateurs conservateurs républicains. L’axe de la communication politique pour sa réélection cherchera donc à mobiliser la base des conservateurs, souvent abstentionnistes, dont plusieurs millions de chrétiens ou protestants évangélistes (souvent fondamentalistes ou Born again), donc en radicalisant le message et en l’adaptant à ce type d’électorat.
Plusieurs moyens stratégiques ont permis de mobiliser ces chrétiens conservateurs.
Vu l’importance et la place de la religion dans la vie des fondamentalistes, la campagne électorale de Bush avait donc tout intérêt à ce que les églises, pasteurs, catholiques et autres télévangélistes le soutiennent activement. Des mesures et déclarations ont été faites pour soutenir les valeurs qui leur sont chères.
Evidemment, la Bible Belt est visée par la campagne électorale. Le soutien de la Convention des Baptistes du Sud fut en particulier décisif. Cette organisation religieuse qui comptait alors 16 millions de membres. Selon Ronald Land, le directeur, des conférences téléphoniques hebdomadaires et bien d’autres rencontres furent organisées tout au long de la première présidence de l’administration Bush et de la campagne électorale de 2004.
Les catholiques furent aussi chouchoutés, comme en témoigne le rôle Deal Hudson, qui fut chargé d’être en contact avec d’éminents personnages catholiques et de mobiliser. Bush fut le premier président des Etats-Unis à assister aux cérémonies de funérailles d’un Pape (Jean-Paul II), il lui rendait souvent visite afin de médiatiser son soutien aux valeurs chrétiennes catholiques et aux idées du Vatican sur l’avortement, le mariage, etc.
Ainsi, les organisations religieuses prennent en charge la diffusion des idées et du personnage du Bush à leurs membres et leur enjoignent d’aller voter.
Les grands thèmes de campagne, outre l’assurance du respect des valeurs conservatrices, furent notamment la menace du terrorisme, la guerre en Irak (dont Kerry a fini par proposer l’arrêt), le mariage gay (Le maire de San Francisco venait de marier 3000 couples homosexuels et ils ont su profiter de la vague d’indignation des conservateurs) ou encore le droit à l’avortement.

Quels dispositifs de communication politique furent mis en place ?


Une utilisation du microtargeting en politique
L’utilisation du microtargeting permet à la campagne électorale de Bush de se diffuser en profondeur, de manière personnalisée grâce à la connaissance des pratiques et préférences des électeurs américains.
Le microtargeting est une technique marketing utilisée notamment en politique, qui tente de définir le plus précisément possible l’identité de chaque électeur. Cette technique est permise par le recours à des data base d’électeurs (et d’électeurs potentiels), notamment Voter Vault, qui a été constitué par les républicains il y a une dizaine d’années. L’administration de Bush l’a utilisé et aurait également acheté l’ensemble des données disponibles de plusieurs entreprises qui s’occupent de rassembler des informations sur la population.
Ce recours aux informations personnelles des citoyens, et le microtargeting, sont très utilisés par des entreprises multinationales. Toutes sortes de données sont ainsi disponibles : l’âge, le comportement de vote et préférences politiques, le revenu, les abonnements à des magasins, revues, églises, son utilisation des médias, son niveau d’étude, l’école de ses enfants, etc.
Après une segmentation et un découpage de l’ensemble de la population, on organise des modèles qui déterminent plusieurs électeurs-types. Il s’agit alors de réfléchir aux arguments qui convaincront le mieux un type d’électeur donné, et à lui envoyer. Ainsi, la communication devient très personnelle et adaptable à chacun. Cela permet d’épargner la susceptibilité des électeurs puisque celui-ci sera toujours assuré d’être d’accord avec le message envoyé.

Un message adaptable et des dispositifs divers
Une image de Bush adaptée à chacun va être mise en avant. Quel type de message est émis à quel type d’électeurs potentiel ? Les possibilités d’utilisation de ces données et le maniement des messages transmis, dans le cadre d’une stratégie électorale, peuvent être infinies puisque combinée à plusieurs dispositifs de communication. Nous allons rapidement voir les différents moyens de communication mis en place.


georges-w-bush-finger
Les moyens de marketing direct sont nombreux et en 2004 déjà, les nouvelles technologies ont jouées un rôle important.  

Des emails et autres courriers ont été massivement envoyés. Les messages étaient modifiés en fonction du destinataire afin que celui-ci soit toujours en accord avec le contenu du message. Par exemple, inutile d’effrayer une jeune femme qui possède une petite voiture et prenant des cours de yoga en lui envoyant des propos homophobes et pro-life (les religieux anti-avortement). Par contre, ce genre de propos intéressera surement un homme, la cinquantaine, et dont toute la famille fréquente une Eglise évangéliste.

Le GPS a été utilisé pour organiser la campagne des militants, par exemple pour trouver les parcours-types des sympathisants républicains  afin de placer des panneaux de campagne aux bons endroits.

Le site et blogs d’une campagne jouent un rôle important, notamment pour (dés !)informer les militants. Un blog personnel du candidat sert à humaniser celui-ci. La mise en avant de la famille de Bush aida celui-ci à faire valoir son respect aux valeurs du mariage religieux, etc.
Ayant vu que certains populations rurales utilisaient beaucoup la radio, ils ont préparé beaucoup de spots radio pour ce type de population, en se permettant de diffuser des messages très conservateurs et très à droite, puisqu’ils ont pris soin auparavant de vérifier que les radios choisies ne se captent pas en ville (où les urbains sont généralement plus modérés).


Dans le cadre de la campagne électorale de 2004, que peut-on dire sur sa stratégie de bataille contre Kerry, son adversaire démocrate ?
Karl Rove a eu pour mentor Lee Atwater, qui inventa le concept de publicité négative, en conseillant notamment Reagan et Bush père. Atwater utilisait couramment des techniques de campagne agressives : faux sondages, rumeurs, publicités ridiculisant l’adversaire, etc. A une conférence de presse, alors qu’il était en campagne contre le démocrate Tom Turnipseed, il fit poser à un faux journalisme des questions remettant en cause la santé psychiatrique de son adversaire.
Les méthodes utilisées contre le démocrate Kerry ont été tout aussi agressives. Certains points de la stratégie de l’équipe de Bush n’ayant pas toujours été mis au clair, on ne sait pas exactement ce qui a été déclenché, acheté et prévu par eux.
En août 2004, alors que Kerry vient juste d’être officiellement investi par la Convention démocrate de Boston, une série de vidéos sont massivement diffusées. On y trouve des vétérans du Vietnam, anciens compagnons d’armes de Kerry. Ils vitupèrent contre lui en disant qu’il a été lâche, les a abandonnés et qu’il n’a pas mérité ses médailles. Or Kerry disposait de cet atout d’avoir été un respectable vétéran du Vietnam, et ces vidéos, ainsi qu’un silence prolongé de la part de Kerry, ont entaché durablement cette réputation. Ces vidéos ont-elles été à l’initiative des vétérans ? Leur financement de la part de riches Texans nous permet d’en douter.
Kerry fut attaqué avec des spots TV le montrant arrogant, faisant de la planche à voile, entouré d’amis riches, et déconnecté des valeurs de l’Amérique profonde. Bush s’était lui montré en train de couper du bois. Kerry ayant, vers la fin de sa campagne, décidé de proposer le retrait des troupes américaines en Irak, il fut montré par les républicains comme étant incapable de protéger l’Amérique contre la menace terroriste.

jesusland


Nous voyons que la réélection de Bush en 2004 a été possible notamment grâce à sa forte stratégie de communication politique face à l’Amérique profonde évangélique et conservatrice. Son équipe se montra précise, compétente et loyale et forma une stratégie efficace grâce à la récupération de données personnelles sur les citoyens.

Note : Il devient difficile, en tout cas sur Internet, de trouver de réelles informations (ou même des références sérieuses) sur les personnes ayant fait partie de l’administration Bush et qui l’ont dévoilé et critiqué par la suite.
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